En réponse aux engagements internationaux en matière de protection de la biodiversité, le gouvernement s’est lancé dans une évaluation nationale des écosystèmes et services écosystémiques du territoire. Mais comment établir des mesures et mettre au point des indicateurs pertinents dans l’évaluation de l’état écologique des eaux intérieures européennes ?
En lien avec la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE) qui fournit un cadre réglementaire à l’engagement de l’Union Européenne sur l’amélioration de la qualité des eaux, Alexandra Carriere, Enseignante-Chercheuse en gestion des risques naturels à l’Esaip, a travaillé sur la question au côté de Christine Argillier, Jean-Marc Baudouin, Aurore Gay et Nathalie Reynaud.

La notion de service écosystémique
Apparu dans les années 1990, le concept de service écosystémique a permis de replacer la biodiversité au cœur de l’équation et d’apporter un autre regard sur la nature. Il s’agit, pour résumer, des services rendus par les écosystèmes, de leur contribution directe ou indirecte au bon fonctionnement de nos sociétés humaines.
L’exemple le plus répandu (et schématique) consiste à celui de la pollinisation et du rôle, entre autres, des abeilles. Par son butinement, l’abeille vient féconder les cultures et permettre l’apparition de fleurs et de fruits qui seront par la suite consommés. Nous parlons ici de service gratuit de la nature rendu aux sociétés humaines.
Ces apports sont principalement classés en 4 grandes catégories :
- Les services d’approvisionnement, l’ensemble des ressources pouvant être consommées comme la nourriture, l’eau potable, le bois etc.
- Les services de régulation, comme le stockage du CO2.
- Les services de soutien, permettant aux écosystèmes de fonctionner comme le cycle de l’eau ou la production d’oxygène.
- Les services culturels, les avantages non quantifiables offerts par la nature comme le tourisme ou la quête spirituelle.
Un équilibre à surveiller
Nous arrivons ici à notre sujet. Afin d’opérer un état des lieux de l’état de santé de nos eaux intérieures européennes pour pouvoir enclencher des politiques de conservation efficaces si nécessaire, intervient la notion du bon état écologique des eaux intérieures (lacs, rivière etc.) qui fournissent de nombreux services écosystémiques.
L’atteinte du très bon état écologique venant garantir la qualité et quantité de services fournis. 90% de l’eau douce de surface, si précieuse aux sociétés humaines, provient des lacs naturels ou artificiels. En matière d’évaluation de l’état écologique d’un lac, la réglementation européenne demande d’évaluer l’état de santé des communautés biologiques aquatiques, la physico-chimie des eaux et enfin l’hydromorphologie. C’est sur ce dernier volet, l’hydromorphologie, que les travaux d’Alexandra Carriere et al. (2023), se sont focalisés.
L’hydromorphologie fournit un cadre physique aux communautés biologiques aquatiques. Son état affecte directement la qualité des habitats disponibles pour la faune et la flore. Son évaluation est ainsi cruciale pour la conservation de la biodiversité et de la qualité de l’eau.
En effet, l’état de santé d’une communauté biologique aquatique ne se limite pas à un nombre d’individus à un instant donné. Il est nécessaire, notamment, de s’assurer de l’existence ainsi que de la disponibilité des habitats, c’est-à-dire du milieu géographique propre à la vie d’une espèce animale ou végétale et à une certaine activité de l’espèce. Par exemple, afin de s’assurer de la pérennité d’une espèce donnée il est indispensable que l’habitat d’alimentation de cette espèce soit préservé mais également connecté à l’habitat de reproduction ainsi qu’à celui du repos de cette même espèce
Se pose ainsi la question de mettre en place des indicateurs réglementaires de mesure d’altération par rapport à un état de référence, c’est-à-dire un état non perturbé par les activités humaines. Ces indicateurs réglementaires fournissent une note indiquant l’état de santé de l’hydromorphologie du lac.
Quelles peuvent être les conditions de référence et ainsi comment mesurer le degré d’altération d’un écosystème par rapport à un état non perturbé ?
Un nouvel indicateur d’altération hydromorphologique des lacs
C’est toute la nouveauté et l’innovation de l’indicateur d’altération hydromorphologique des lacs (LHYMO) développé dans cette étude.
Ce nouvel indicateur multimérique innovant et DCE-compatible a permis d’intégrer dans la formule mathématique même des variables d’altération de l’hydromorphologie (i.e. les différentes métriques qui composent l’indicateur) les conditions de référence.
La définition des conditions de référence est l’un des plus grands défis de l’évaluation de l’état écologique et demeure le frein principal au développement d’outils réglementaires DCE-compatibles pour évaluer l’état hydromorphologique des lacs européens en raison d’un manque de données. Dans cette étude les conditions de référence ont été définies pour chaque métrique selon une approche originale : le degré d’altération est mesuré en observant l’état hydromorphologique et son écart par rapport aux caractéristiques naturelles de chaque lac, autrement dit par rapport à une valeur de référence se rapportant à un état « attendu en l’absence de perturbation anthropique ». Il a donc été formalisé mathématiquement cet état de référence attendu en l’absence de perturbation anthropique.
Les différentes métriques d’altération de l’hydromorphologie qui mesurent l’altération des différents constituants de l’hydromorphologie vont de 0, état très dégradé, à 1, état non perturbé et donc égal à l’état de référence attendu pour un constituant donné (i.e. le temps de résidence des eaux, ou encore la structure/morphologie des rives du lac). Ces scores de 0 à 1 donnent une indication de quels constituants de l’hydromorphologie du lac évalué sont plus ou moins dégradés. L’indicateur LHYMO est fondé sur les données des lacs français et a fourni une évaluation quantitative de l’état hydromorphologique de 72 lacs naturels et non-naturels en France répartis sur tout le territoire métropolitain français.
En supposant que l’échantillon de cette étude soit représentatif de la situation nationale et que des mesures de restauration devraient être exigées pour les lacs obtenant un score inférieur au bon état hydromorphologique, plus de 60% des lacs français suivis par la DCE (environ 472 lacs sur le territoire métropolitain) pourraient être affectés. Parmi ces altérations, les obstacles à l’écoulement et l’absence de végétation riveraine sont les plus fréquentes.
En effet, il est largement admis que la présence d’obstacles sur les réseaux de rivières est l’un des problèmes majeurs des hydrosystèmes français en perturbant la continuité hydrologique, sédimentaire et écologique. L’altération de la végétation riveraine a également été une préoccupation de longue date en France. Suite aux activités humaines, l’absence de végétation riveraine sur les berges d’un lac réduit l’ombrage aux abords du lac, augmente ainsi la température des berges et des eaux à proximité de celles-ci et diminue la filtration des sédiments et des polluants provenant des zones terrestres adjacentes. Tout ceci a un impact négatif sur la qualité des eaux auquel il faut remédier pour préserver la qualité écologique de nos lacs européens.
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Améliorer la qualité des bioindicateurs dans l’évaluation de l’état écologique des eaux intérieures européennes : A new Water Framework Directive-compliant multimetric index to assess lake hydromorphology and its application to French lakes
Références : Carriere, A., Reynaud, N., Gay, A., Baudoin, J.-M. & Argillier, C. (2023). LHYMO: A new Water Framework Directive-compliant multimetric index to assess lake hydromorphology and its application to French lakes. Aquatic Conservation: Marine and Freshwater Ecosystems, 1–22
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